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Jean-Baptiste Semmartin du Domaine Lajibe : l’exigence avant tout

Dans le voyage à Jurançon, passage obligé chez Jean-Baptiste Semmartin du Domaine Lajibe. Tout jeune domaine (premier millésime en 2018), il n’en est pas moins très vite devenu l’un des domaines les plus en vue de l’appellation.

Pourtant, dire que Lajibe est un domaine modeste est un euphémisme… A peine 5ha, uniquement en fermage, pas de structure propre mais un tout petit chai au sein de bâtiments du Domaine Larroudé, avec qui Jean-Baptiste partage également une bonne part de matériel, deux personnes à travailler sur l’exploitation, Jean-Baptiste et, depuis tout récemment, sa femme Juliana à la comptabilité et à la préparation des commandes. Bref, on est très très loin du clinquant d’un domaine que l’on peut déjà qualifier de star (en tout cas au vu de la demande en vins) !

Jean-Baptiste est un néo-vigneron au passé original : ancien escrimeur en sabre, il a tutoyé le très haut niveau puisqu’il a intégré l’équipe de France et gagné ses galons au niveau international dans les pas de la fameuse école de Tarbes, ville dont il est originaire. De ce passé, il a certainement gardé un sens de la rigueur et une exigence à toute épreuve. C’est en tout cas ce qui ressort nettement de sa rencontre. Il a ensuite fait ses galons de vigneron à Bordeaux et en Bourgogne où il a appris l’intérêt des élevages longs.

Le Domaine est situé dans la partie la plus occidentale de l’appellation Jurançon où il bénéficie d’un terroir particulier. D’un point de vue climatique et micro-climatique tout d’abord : il s’agit de l’un des terroirs les plus précoces de l’appellation. Le vallon où sont les parcelles qui produisent Haure et Carmeret est vendangé systématique environ trois semaines avant le reste de l’appellation ! En effet, il est l’un des rares à être bouché à l’Ouest, ne bénéficiant ainsi pas des traditionnelles entrées maritimes. Les sols sont de deux natures : flyschs formés lors de la compression d’amas détritiques issus de l’érection des Pyrénées pour Haure et Carmeret (la différence entre les deux parcelles voisine tenant à la profondeur des sols : directement sur la roche pour Carmeret, quelques mètres de sol pour Haure) et galets roulés sur une crête pour Serres-Seques qui bénéficie ainsi de l’effet “four” de ces derniers, devenant ainsi une véritable “usine à sucres”. Jean-Baptiste insiste également sur l’importance des veines d’oxyde de fer qui stockent les nutriments et sur lesquelles les racines de vigne viennent se greffer.

Le travail à la vigne est en bio et en biodynamie, avec l’avantage énorme que procure la polyculture traditionnelle de la région : ici, pas de mer de vigne mais un espace partagé qui offre une biodiversité importante. L’enherbement est de mise et les rendements sont ridicules, avoisinant parfois les 5hl/ha, y compris pour la production de vins secs !

La parcelle de Carmeret avec vue sur les Pyrénées. Haure est juste à droite, en haut du talus qui commence à se dessiner.

Nous nous dirigeons ensuite vers le tout petit chai où les barriques s’entassent : pas un espace de perdu ! Depuis que Jean-Baptiste s’est lancé dans son activité de négoce, il a un peu plus de vin. Aujourd’hui, c’était jour de mise en bouteille des 2021 du Domaine, c’est donc sur ce millésime que s’axe la dégustation. Concernant l’activité de négoce, Jean-Baptiste insiste sur le fait qu’elle doit absolument être aussi qualitative que la production Domaine, il a donc une exigence toute particulière : pas plus d’un viticulteur par cuvée, afin de préserver une identité terroir, des méthodes de travail triées sur le volet, au plus proche du bio et de la phytothérapie, un contrôle précis des dates et méthodes de vendanges et, enfin, une fois les raisins récupérés, Jean-Baptiste les chouchoute comme les siens ! Le moins que l’on puisse dire est que, de fait, la qualité des vins suit très largement et que la “patte” Lajibe se fait sentir très nettement. De plus, une nouvelle structure “Mansengs et Cie” a été créée et est indiquée de manière très claire sur la bouteille qui se différencie visiblement des cuvées Domaine : Jean-Baptiste est avant tout un amateur de vin et souhaite être clair dans sa démarche sans la moindre entourloupe.

La discussion porte vite sur les méthodes de vinification et d’élevage. Là encore, c’est l’exigence qui domine : élever un vin, pour Jean-Baptiste, ce n’est surtout pas ajouter, c’est éliminer le superflu, ne garder que l’essentiel, affiner, encore et encore pour arriver à l’essence même de ce que le jus à a offrir. Cela demande du temps, de la patience et beaucoup d’écoute. Si Jean-Baptiste se défend de toute filiation directe avec son passé d’escrimeur de haut niveau, difficile de ne pas voir là une similitude avec le travail de recherche du mouvement précis et épuré, qui cherche l’efficacité et fait mouche à force de patience et de répétition. Pas de doute : réussir à atteindre un haut niveau dans deux domaines aussi différents que le sabre et le vin résulte d’une personnalité de fond soucieuse de la précision et de l’épure, exigeante jusqu’à l’extrême.

Cette exigence se fait essentiellement au travers d’un rapport sensitif et intuitif aux vins produits : si Jean-Baptiste a évidemment de solides connaissances techniques, c’est surtout la dégustation qui détermine si un vin est prêt ou non. Et un vin ne sortira que s’il procure la satisfaction voulue. En témoigne ce Serres-Seques moelleux 2019 encore en élevage et dont Jean-Baptiste n’est pas encore tout à fait satisfait. Il admets volontiers ne pas toujours réussir à amener ses vins sucrés là où il le souhaite et que cela est peut-être compliqué du fait de ses choix technique : peu ou pas de soufre, pas de filtration dans l’idéal.

Il prête notamment une très grande attention aux finales des vins qui doivent avoir une salinité et une sapidité marquées. Et, pour lui, cela n’est possible pour ses mansengs adorés que grâce à des élevages longs et patients. D’autant que ses vins sont concentrés au possible : pour Jean-Baptiste, l’un des éléments les plus importants de la structure de ses vins provient de la concentration en polyphénols. Pour obtenir celle-ci, il va à l’encontre de ce qui est recommandé pour les mansengs à la peau si épaisse : il effectue des pressurages longs et sévères, allant jusqu’à recueillir de la presse afin d’extraire la matière des pépins et de la peau. Cette méthode assez originale teinte fortement les vins, leur donnant une densité et une structure particulières qui participent au style reconnaissable du Domaine.

La dégustation qui a suivi était des plus intéressantes. Au programme : les cuvées de négoce Marcel et Mansengs 2021. Serres-Seques sec 2020. Ces trois bouteilles étaient ouvertes et simplement rebouchées depuis une semaine et ne présentaient pas le moindre signe d’oxydation prématurée. Une structure et une intensité intacte ! Chapeau ! Marcel 2021, issu d’une parcelle en négoce de Jurançon s’est un peu assagi depuis l’automne où il procurait la sensation d’un uppercut. Superbe mais violent. Aujourd’hui, il reste un vin à l’intensité remarquable, mais plus accessible, moins direct et donc plus complexe. Très belle surprise en regoûtant Mansengs 2021 qui s’est affiné et a gagné en précision et en pureté. C’est un superbe vin, et le seul qui ne soit pas issu de terroirs du Jurançon mais de mansengs du Gers, cultivés en biodynamie sous la main experte de Sébastien Fezas. Assurément, le Gers dispose d’un potentiel à très grands terroirs aujourd’hui largement maltraités par une approche industrielle de la viticulture. Serres-Seques 2020 s’est détendu depuis ma dernière dégustation il y a près d’un an : la volatile alors présente s’est intégrée et le vin, alors impressionnant de complexité mais peut-être un poil brouillon s’est harmonisé et allie énergie folle et élégance. Comme je le fais remarquer, il me fait penser à un Noël de Montbenault de Richard Leroy par son équilibre entre tension saline et densité carrée. sans compter sa tenue impressionnante à l’air ! Jean-Baptiste me répond qu’il ne connaît pas bien les vins de Richard Leroy, mais que la comparaison lui est parvenue plus d’une fois à l’oreille !

Dès lors, il est intéressant de goûter Serres-Seques sec 2021 sur un fond de mise : immédiatement, la filiation entre les deux millésimes sur une même parcelle est sensible : c’est la même structure de vin, le même type de touché de bouche. mais 2021 est plus frais, plus tendu, et déploie une énergie qui enveloppe tout le torse de manière étonnante ! Encore tout jeune, mais promis à un très grand avenir. La surprise vient de la méthode d’élevage : presque la moitié des barriques assemblées dans ce vin n’ont pas été ouillées ! Et pourtant, s’il y a bien une patine étonnante, il n’y pas de trace d’oxydation marquée. Pour Jean-Baptiste, cela est du à la concentration en polyphénols mentionnée plus haut. Carmeret 2021, également en fond de mise, est plus massif, plus austère. C’est un concentré d’énergie brute et dense un peu renfrogné à la manière d’un caillou bien dur qu’il va falloir polir pour en faire ressortir les veines et la finesse. Nul doute que ce sera très beau, mais c’est à attendre en bouteille, même si on perçoit que le vin est bel et bien fini car la finale déploie déjà toute la salinité recherchée.

Enfin, nous terminons par deux Jurançons doux encore en élevage. Le premier est issu d’une nouvelle parcelle exploitée en fermage par le Domaine. Située sur des terroirs calcaires de l’appellation, les vignes produisent un vin doux sapide, élégant, à la superbe acidité citrique. C’est extrêmement facile à boire, d’une grande jutosité et élégance tout en conservant la densité et le style gastronomique spécifique à Lajibe. Le second est le fameux Serres-Seques doux 2019, que Jean-Baptiste décide finalement de travailler en oxydatif, peu convaincu par le premier élevage du vin. C’est un vin dont il n’est pas encore tout à fait satisfait et ne sait pas s’il finira un jour en bouteille pour lui même ou s’il sera conservé pour être assemblé et teinter d’une pointe de complexité d’autres cuvées de doux. En effet, si la complexité aromatique, la présence et la densité sont de la partie, la finale manque de cette précision saline et élégante présente dans toutes les autres cuvées dégustées. Cela reste toutefois encore très bon.

Que retenir de cette visite ? Une cohérence totale de l’ensemble, avec un vigneron sensible et attaché au sensitif, pour qui l’exigence sans faille est guidée plus par l’intuition que par la technique. J’aimais les vins. A présent, je suis très attaché au Domaine dans son ensemble !